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23 novembre 2009

Les petites fugues 2009

Un échange passionnant avec Velibor Colic

2009_11_19_Velibor_Colic_P1040592Dans le cadre du festival « Les petites fugues » organisé par le Centre régional du Livre de Franche-Comté, nous avons eu l’honneur et le plaisir de rencontrer un auteur bosniaque, Velibor COLIC, dans notre établissement, le jeudi 19 novembre 2009. Nous avions travaillé auparavant sur des extraits de son dernier roman écrit en langue française, Archanges (roman a capella), relatant la guerre civile qui a dévasté la Yougoslavie au début des années 1990. L’auteur a écrit cette œuvre dans un moment de colère : « J’ai senti un besoin de communiquer tout de suite ma colère, d’où la nécessité de parler la langue française dans Archanges. Je n’ai plus de chez moi. Ma vie, maintenant, est ici. Etre étranger, c’est avoir partout un accent, y compris chez soi. Et plus le temps passe, plus c’est compliqué. Même aujourd’hui, je ne peux pas retourner en Bosnie. »

Velibor Colic nous a, au cours de cette rencontre, conté sa tragique histoire. C’était un simple étudiant qui est plus tard devenu animateur d’une émission de musique sur une radio bosniaque. Plus tard, il fut démis de ses fonctions à l’arrivée au pouvoir de l’Extrême-droite entraînant la guerre civile entre bosniaques, croates et serbes. Les violents affrontements ont beaucoup marqué l’auteur qui fut enrôlé dans l’armée bosniaque. Au bout de quelques mois passés au Front où il découvrit la cruauté humaine, il déserta. Meurtri, épuisé, il erra quelques temps en Europe puis arriva en France en 1992 où il a désormais le statut de réfugié politique. Une amie traductrice l’accueillit à Rennes et le poussa à écrire un livre à partir des notes quotidiennes accumulées durant la guerre en Bosnie-Herzégovine. Il se lança alors dans la rédaction de son premier roman Les Bosniaques, œuvre traduite par son amie. Il enchaina par la suite plusieurs romans sur des sujets variés comme le jazz dans Perdido, « une sorte de longue improvisation sur la vie du saxophoniste Ben Webster (1909-1973) », puis il décida de traiter une fois de plus la guerre qui le hante. Cette fois-ci, il écrivit directement en français Archanges (roman a capella) afin de toucher directement le public français. Ce roman n’est donc pas une traduction, ce qui le rend particulier. L’auteur nous livre là un roman dit « a capella », c’est-à-dire un roman dans lequel les personnages s’expriment seuls et font entendre leur voix, leur cri pour échapper à l’oubli, au silence terrifiant. « Quand j’ai écrit Archanges ou Les Bosniaques, j’étais en colère. Je n’ai pas le goût du morbide. J’aime rire, la musique, le jazz… Mais, la guerre de Bosnie-Herzégovine a tué 35000 enfants. Ils sont en train de bricoler notre mémoire. Il faut écrire. Je ressens un besoin physique de raconter tout ça. Je ne peux plus imaginer ma vie sans l’écriture. On n’a pas le droit d’oublier les crimes de guerre, les génocides. Je ne veux pas choquer. Les vrais assassins sont dans les bureaux ; ce sont ceux qui imaginent, planifient et organisent les génocides. »

Archanges est un texte puissant et cru qui évoque la vie et la mort d’une petite fille, Senka, qui fut violée, mutilée et assassinée par trois hommes pendant la guerre de Bosnie-Herzégovine. Le roman est aussi la parole des bourreaux qui parlent à la première personne. Senka est devenue une ombre, un spectre qui hante inlassablement ses meurtriers. « L’assassin représente son dernier espoir pour exister, « survivre », éviter l’oubli, la seconde mort définitive… Senka lutte désespérément contre l’oubli. Il y a un proverbe en Bosnie qui dit qu’on meurt deux fois : la mort physique puis la seconde qui est l’Oubli. Mon livre parle de cette lutte, de la Mémoire, de la nécessité de raconter l’horreur car elle a existé et pourrait recommencer… Il n’y a pas de crimes de masse. C’est toujours un + un + un… On connaît chaque prénom, chaque victime. Une personne renvoie à une histoire, un frère, une sœur, une mère… Un chiffre reste vague, impersonnel, froid. On doit nommer les victimes pour éviter l’Oubli et parler de l’humanité. Chacun de nous doit répondre de ses actes. Chaque homme doit être respecté. C’est un des rôles de la Littérature : le respect de la dignité humaine. »

Lorsqu’on lui a demandé de nous expliquer davantage une phrase située à la fin de son roman et qui nous a particulièrement marqués, interrogés, il nous a raconté le massacre terrifiant de Srebrenica en 1995 : « purification ethnique, génocide, 8000 morts… Tout le monde a vu. On a laissé faire. Les casques bleus étaient là… Tous les hommes entre 15 et 75 ans furent assassinés… d’où ma phrase dans mon roman Archanges :

N’importe quelle victime n’est qu’un bourreau raté ; vous aussi, vous êtes tous coupables, parce que vous étiez témoins. Est-ce qu’on peut fermer les yeux ? Ou est-ce qu’on doit agir ? A chacun de décider… c’est la question complexe du courage… »

Nous lui avons aussi demandé le sens du titre de l’œuvre Archanges : « Dans mon roman, chacun relate son histoire. Je voulais déplacer le roman dans une dimension métaphysique. C’est la guerre de la Bosnie-Herzégovine , mais c’est aussi n’importe quelle guerre, celle de Bagdad ou celle qui pourrait un jour frapper la France. Je parle donc des crimes de toutes les guerres… »

A la fin de cette rencontre, nous avons lu quelques textes que nous avions écrits après la découverte des extraits dévoilant la voix de l’Ombre, c’est-à-dire Senka.

Nous avons fortement apprécié cet écrivain qui s’est dévoilé avec pudeur et sincérité. Cela donne un nouvel éclairage au roman et cela permet de mieux comprendre l’Histoire. Même si Velibor Colic a vécu des moments terrifiants, c’est un homme qui a su garder la joie de vivre. Merci Monsieur pour ce grand moment passé avec vous !

La classe de Seconde GT avec l’enseignante, Isabelle Debarnot

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